Le président de la République s’est déclaré favorable, lundi 5 janvier, à une taxe sur les transactions financières portant sur « tous les produits de la finance ». Si les réactions à cette annonce ont été plutôt positives, des interrogations demeurent sur les intentions réelles de la France : par la voix de ses ministres des finances successifs, la position française s’est éloignée des engagements du candidat socialiste, en souhaitant soustraire de cette taxe une part considérable des produits financiers.
Cet instrument, dont le projet est soutenu par onze États européens, poursuit trois objectifs : pénaliser les opérations financières purement spéculatives, substituer à la logique court-termiste l’investissement de long terme répondant aux besoins de l’économie réelle et enfin dégager des ressources indispensables en ces temps de contrainte budgétaire.
François Hollande évoquait les « pressions » exercées par le monde de la finance. Mobilisées de longue date, les grandes banques françaises sont vent debout contre l’introduction d’une telle taxe. Peu étonnant quand on sait que la Société générale et BNP Paribas sont les championnes mondiales des transactions réalisées sur les produits dérivés sur actions en pratiquant le trading à haute fréquence, à savoir l’achat ou la vente massive de titres financiers effectués en moins d’une seconde.
Croissance exponentielle des produits dérivés
On peine à croire que ces opérations très lucratives pour leurs rares bénéficiaires soient nécessaires à la bonne santé de l’économie ; quelle entreprise a besoin d’actionnaires qui restent moins d’une seconde ?
Ces mêmes acteurs prétendent que la taxe conduirait à la délocalisation de 30 000 emplois en faisant fuir l’activité vers la City de Londres. C’est la raison pour laquelle le Parlement européen a proposé de ne pas limiter cette taxe aux pays où résident les parties prenantes à la transaction en l’élargissant aux produits financiers émis dans l’un des 11 pays volontaires mais négociés en dehors. Ainsi, une action du constructeur automobile Renault vendue par un fond d’investissement chinois à une banque anglaise serait concernée par la taxe.
Le chômage atteint dans la zone euro un niveau sans précédent. Pourtant, un marché ne connaît pas la crise : celui des produits dérivés, dont le cours « dérive » de la valeur d’un actif (actions, obligations d’États, matières premières…). Ils devaient initialement servir d’assurance contre le risque de variation brutale du prix de l’actif. Le volume de ces transactions a connu ces vingt dernières années une croissance exponentielle et pèse aujourd’hui plus de dix fois le PIB mondial.
Si certains agents économiques y ont légitimement recours pour couvrir un risque spécifique, comme le risque de change entre deux monnaies lors d’un contrat d’exportation, l’explosion du nombre d’opérations relève de pratiques spéculatives pariant sur une variation minime des cours. La taille gigantesque de ce marché forme désormais une bulle dont l’éclatement emporterait l’économie mondiale.
35 milliards d’euros par an
Près de 75 % des transactions réalisées sur les produits dérivés disparaîtraient si un taux minime de 0,01 % était appliqué à ces flux. Cette taxe serait ainsi un instrument de lutte contre la spéculation. Elle permettrait malgré tout de dégager 35 milliards d’euros par an pour financer la lutte contre les pandémies comme le Sida et le combat contre le dérèglement climatique.
Dans onze mois, lors de la conférence mondiale sur le climat de Paris, les pays riches devront expliquer aux pays les plus pauvres comment ils honoreront la promesse faite de transférer 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 pour les aider à lutter contre les conséquences dramatiques du changement climatique. Cette taxe est donc un enjeu majeur de la conférence climat de 2015 et recouvre l’un des engagements forts de François Hollande. Cette mesure pourrait réconcilier le président avec une partie du peuple de gauche.
Nous avons trop entendu de belles paroles sur ce sujet pour ne pas regarder uniquement les actes : le premier serait que le président de la République ne renvoie pas la question aux ministres des finances mais saisisse le prochain Conseil européen de mars 2015 pour trouver un accord entre chefs d’États concernés en juin. À défaut, l’engagement du 5 janvier n’aura été qu’une parole de plus…
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