Ils assurent « venir de l’Europe ». La chérir, vouloir la préserver. Leur démarche, disent-ils, ne vise qu’à sauver ce projet qui les a tant fait rêver. Ils sont jeunes, vieux. Un peu à gauche, parfois à droite. Jamais aux extrêmes et bien plus fédéralistes que souverainistes.
Ils aiment l’Europe, mais ils ont fini par haïr l’euro. Cette monnaie mal bâtie aurait transformé Bruxelles en une maison de correction, nourrissant le mépris des « Euros du Nord » et la rancœur des « Euros du Sud ». La monnaie est rendue responsable de la crise économique et politique de l’Europe. Bouc émissaire ? Sans doute. Symptôme d’une union qui flanche et peine à vanter sa pertinence ? Sûrement.
« Ce truc-là ne tourne pas rond », résume François Heisbourg. Au Café des Deux Magots, dans le Paris de Saint-Germain-des-Prés, en cet après-midi humide et sombre d’hiver, le conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique en est persuadé : pour sortir du pétrin une seule option, « sacrifier l’euro ». M. Heisbourg n’est pas économiste et ne prétend pas l’être. Son domaine, c’est la géopolitique, et son angoisse, la montée des populismes. Pour faire cesser le dénigrement systématique de l’Europe et la montée des extrêmes, ce fédéraliste convaincu plaide, dans son livre La Fin du rêve européen (Stock, 2013), pour un démantèlement « temporaire » de l’union monétaire. « La solution n’est pas formidable, elle est épouvantable ! », reconnaît-il, mais ce serait le seul moyen de réconcilier l’Europe avec les peuples.
Issus du monde de la politique, des affaires ou des lettres, ils sont de plus en plus nombreux, comme lui, à penser que l’euro est devenu un fauteur de troubles. Hier blâmée pour entamer le pouvoir d’achat des ménages, la monnaie unique est aujourd’hui accusée de favoriser l’austérité en emprisonnant les Etats dans un corset monétaire.
La critique est aisée. La croissance économique, qui repart aux Etats-Unis, au Japon et au Royaume-Uni, patine en zone euro. Et personne ne peut nier les carences de l’union monétaire, construite sans union budgétaire ni politique. Quant à la déflagration possible liée à l’explosion de l’euro, elle est vite balayée par ces « euro-dépités ». A les écouter, le chaos promis par les experts n’est qu’une échappatoire pour clore tout débat. « Ceux qui défient l’euro sont traités de nazis ! », s’étrangle Hans-Olaf Henkel, l’ancien patron des patrons allemands, qui a pris la tête du parti anti-euro Alternative pour l’Allemagne (AfD), en janvier. « On est dans le déni, ajoute Steve Ohana, professeur de finance à l’ESCP-Europe, l’euro est comme une idole. [Pour la plupart des gens], c’est nous qui sommes fous ! »
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